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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

même à leur insu, cette influence, comme les hommes du monde. Mgr de Laval n’en fut pas exempt, il ne faut pas craindre de le dire. On ne craint pas d’enlever la poussière sur un beau marbre antique. Si Mgr de Laval n’avait eu maille à partir qu’avec l’État, si on n’avait à lui reprocher que de s’être querellé avec les gouverneurs, qu’il faisait et défaisait presqu’à son gré, on pourrait supposer qu’il agissait de la sorte parce que ceux-ci outrepassaient leurs pouvoirs et qu’ils empiétaient sur le domaine religieux ; mais il s’est fait des querelles dans l’Église même, et, en particulier, avec son propre successeur, Mgr de Saint-Vallier. Après l’avoir choisi lui-même selon ses désirs, l’avoir désigné au roi, comme il avait fait auparavant pour le gouverneur Mésy, et lui avoir remis son siège, il voulut que le nouvel évêque lui obéit et qu’il dirigeât l’Église du Canada uniquement selon ses vues. Voyant qu’il ne pouvait le gouverner, il mit ensuite tout en œuvre auprès du roi pour le faire rappeler en France et lui faire enlever son siège. La lutte fut ce qu’on peut la supposer entre deux prélats relevant tous deux de la haute noblesse, également influents à la cour, doués chacun d’une volonté de fer et de cette âpre vertu dont l’abbé de Rancé fut alors le modèle extrême. Quand on examine le sujet de ce débat, on reste aussi attristé que le seront nos arrières-neveux, quand ils étudieront les luttes du même genre dont nous sommes aujourd’hui témoins. Mgr de Laval avait fait de son clergé une espèce d’ordre régulier, fort édifiant, ne possédant pas de biens propres, ayant pour centre d’action le séminaire de Québec, où l’évêque fondateur était tout puissant. Dès son arrivée dans la colonie, Mgr de Saint-Valier vit bien qu’il serait toujours à la merci de son prédécesseur, s’il ne brisait cette organisation. Aussi entreprit-il de constituer son clergé sur le pied des diocèses de France. Ce plan était le plus pratique, et il devait tôt ou tard être et mis à exécution. Mgr de Laval en fut consterné ; il crut y voir la ruine de son église : c’était certainement celle de son influence. Il réagit contre ce nouvel ordre de choses avec autant d’impétuosité que Mgr de Saint-Valier en mit à le réaliser. Ces deux hommes si saints, animés des meilleures intentions, croyant agir pour le plus grand bien, empoisonnèrent leur vie par ces dissensions, dont le diocèse eut à souffrir encore davantage. Mgr de Saint-Valier ne fut plus, aux yeux de l’ancien évêque de Québec… « qu’un homme de cour qui, n’ayant pas la moindre espérance de grâce dans sa conduite, ne s’étudie jour et nuit qu’à trouver des moyens de ne donner aucun repos à tous ceux qui lui apportent la moindre résistance. » (Lettre à M. de Brisacier, en 1692). Et en 1699, dans une lettre à M. l’abbé Tremblay, alors à Paris : « Comme il n’y a aucun changement à espérer de sa conduite, l’on peut s’attendre qu’il ruinera cette pauvre église qu’il est plus incapable de gouverner, à cause spécialement de son éloignement de la France. » Enfin Mgr de Laval écrivait à Mgr de Saint-Vallier lui-même, en 1696 : « N’a-t-il pas paru… que votre principal dessein a été de détruire tout ce que vous avez trouvé si bien établi ? » Le secret de ce démêlé est tout entier dans ces derniers mots. Je me borne à ces courts passages qui pourraient être aggravés par des citations plus accentuées. Ne croirait-on pas assister aux disputes et aux excès de langage auxquels se livrèrent saint Jérôme et Ruffin, et, dans des temps plus rapprochés, saint Bernard et Pierre-le-Vénérable ? Les chrétiens éclairés ne