Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/171

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naient rapides ; et ce cas, à cause de la forme de ces montagnes, s’est trouvé presque partout le plus fréquent.

Les défrichements rendent le sol meuble : ce résultat est celui-là même qu’on veut réaliser par l’action des charrues, et leur emploi n’a pas d’autre but. Quand une averse tombe sur ces terres que le soc a privées de cohésion, elle les détrempe et les emporte le long des pentes, jusque dans le fond des vallées. Si cette action se répète à plusieurs reprises, le sol végétal disparaît en entier, et le roc nu reste à la place. — C’est ce qui est arrivé partout.

Il existait une ancienne loi, citée par Fabre et par M. Dugied, qui défendait les défrichements sur les talus rapides, à moins de soutenir les champs par des murs. Quoique incomplète, cette loi était sage ; elle témoignait du danger des défrichements et de la nécessité de les soumettre à une règle ; mais elle paraît être tombée en désuétude depuis longtemps.

L’ordonnance de 1669 défendait les défrichements sur les terrains en pente non boisés. — Mais cette partie de l’ordonnance n’est jamais appliquée par les tribunaux. Ils s’appuient sur la loi du 9 floréal an XI, laquelle ne prévoit et ne punit que les défrichements des terrains boisés : ce qui est une tout autre chose. — Ne dirait-on pas que la confusion qui existe dans le langage ordinaire entre les termes défrichement et déboisement s’est glissée jusque dans l’esprit du législateur, et a passé de là dans le texte même de nos lois ?…

Après les charrues viennent les troupeaux, et ceux-ci achèvent la ruine de ces montagnes. Ils consistent en chèvres, et principalement en moutons et en brebis ; c’est-à-dire qu’ils consistent dans les espèces dont la morsure est la plus pernicieuse à la végétation. Depuis un temps immémorial, les communes afferment leurs montagnes aux bergers de la Provence, qui y conduisent chaque printemps de nombreux troupeaux. Ceux-ci s’ajoutent aux troupeaux du pays, et répandent sur tous les lieux élevés un nombre énorme de bêtes, tout à fait disproportionné avec les produits des terrains qui les nourrissent Leur chiffre n’a pas été exactement relevé, les communes étant intéressées à le cacher ; mais il ne peut manquer d’être très-considérable, puisqu’un seul petit canton, le Dévoluy qui ne compte pas 2 500 habitants, nourrit au delà de 35 000 bêtes à laine.

De là vient le mal. — Lâchés en si grande abondance sur de maigres terrains, ces bestiaux les épuisent, en rongeant l’herbe jusque dans les ra-