Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/178

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bustes fourrés ont reparu avec une merveilleuse célérité, et formé ce qu’on appelle des blaches dans le pays. Des forêts entières se sont relevées sur le sol des forêts détruites pendant la révolution, mais que les habitants, mieux inspirés cette fois, avaient soumis de suite au régime forestier[1]. — Enfin, sur le même revers, les quartiers mis en réserve se distinguent, au bout de deux ans, de ceux abandonnés aux troupeaux[2]. — Les derniers sont nus et ravinés. Les premiers sont couverts de végétation ; le sol s’est raffermi, et les ravins, tapissés de plantes touffues, semblent cicatrisés comme des plaies, sous l’influence d’un topique bienfaisant. Dans les deux quartiers, l’exposition, les pentes, le sol, sont les mêmes ; la mise en réserve seule a tranché la différence. Que peut-on objecter à de pareils faits ? Ne sont-ils pas concluants ? Ne donnent-ils pas la clef du système à suivre pour mettre enfin un terme k des calamités toujours croissantes ?

En résumé, on le voit, ce sont toujours les mêmes effets résultant des mêmes causes. — Suivons-les plus loin : ils deviennent encore plus attristants.

Le pays se dépeuple chaque jour. — Ruinés dans leur culture, les habitants émigrent loin de cette terre désolée, et beaucoup n’y reviennent plus, contre l’habitude générale des montagnards. On voit de toutes parts des cabanes désertes ou en ruines, et déjà, dans certaines localités, il y a plus de champs que de bras.

L’état précaire de ces champs décourage la population : elle abandonne la charrue, et fonde toutes ses ressources dans les troupeaux. Mais les troupeaux hâtent la ruine du pays, qui périra par cette ressource même. Chaque année, leur nombre diminue faute de pacages. Le chiffre des bêtes à laine, qui était de 53 000, il y a vingt ans, n’est plus que de 36 000. Une commune[3] qui en nourrissait 25 000 il y a 15 ans, n’en nourrit plus que 11 000. — Ainsi, les habitants, qui sacrifient tout leur sol aux troupeaux, ne laisseront pas même ce dernier héritage à leurs descendants.

Maintenant on doit voir clairement où mène cet enchaînement fatal de causes et d’effets qui commence par la destruction des forêts, et se termine par les souffrances et les misères de la population, condamnant ainsi

  1. Forêt de Malmort à Saint-Disdier.
  2. Quartier de Jacié à Agnières.
  3. Celle de Saint-Étienne.