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communément adoptée ici par les syndics, que les deux propriétaires payeront des sommes égales. Cela n’est certainement pas rationnel, et cette méthode sera toujours inexacte, toutes les fois que les propriétés embrassées par le rôle ne se trouveront pas avoir identiquement la même valeur, par mètre carré de superficie, cas tellement rare, qu’il ne se présente peut-être jamais.

Posons les vrais principes qui doivent servir de base à la fixation de ces rôles.

Lorsque plusieurs joueurs entrent au jeu avec des mises inégales et des chances inégales de gain, si l’on veut que tout devienne rigoureusement égal entre eux et conforme à l’équité, il faut qu’en multipliant la mise de chaque joueur par la probabilité qu’il y a de la perdre, tous les produits soient égaux entre eux. — C’est ce qu’on démontre très rigoureusement par le calcul des probabilités, où ces sortes de produits sont connus sous le nom d’espérances mathématiques.

Or, nous sommes ici dans des conditions parfaitement semblables à celles de ces joueurs. Le torrent non contenu par des digues plane au hasard sur un certain nombre de propriétés intéressées à se défendre, et il les menace toutes, mais inégalement et suivant des chances diverses d’irruption. C’est là un véritable jeu de hasard. Les propriétaires ressemblent aux joueurs : leur mise en jeu, c’est la valeur de leurs héritages ; leur probabilité de perte, c’est la chance plus ou moins grande qu’ils ont d’être envahis par le torrent. — Si tout était égal entre ces nouveaux joueurs, il faudrait qu’en multipliant pour chacun d’eux la probabilité de la perte par la valeur de la chose perdue, les produits fussent égaux. Si ces produits de le sont pas, cela démontre que tout n’est pas égal, que certains joueurs sont moins favorisés dans l’état actuel des choses que d’autres, ou, en d’autres termes, que certains propriétaires ont plus à perdre que d’autres, et, par conséquent, sont plus intéressés que d’autres à la construction de la digue. Ces produits exprimeront alors la mesure de cet intérêt, et ils fourniront la véritable proportion qu’il conviendra d’établir entre les intéressés, pour faire face à la dépense totale.

Il y a donc, comme on le voit, deux éléments à établir :

1o La chance d’irruption qui menace chaque propriété.

2o La valeur même de chaque propriété menacée.

Ces deux éléments, exprimés en nombres, seront multipliés l’un par l’autre, et les produits donneront la proportion suivant laquelle il faut imposer les propriétaires.

La détermination du premier élément, savoir, la chance d’irruption, est, il faut en convenir, un problème fort difficile. — Pour donner une idée de la manière dont il pourrait être résolu, je vais me placer dans un cas normal, où l’irruption des eaux se manifeste sous des formes moins irrégulières que dans les crues des torrents : ce cas serait, par exemple, celui d’une rivière qui inonderait une de ses rives en débordant momentanément, pour rentrer ensuite dans son lit invariable.

Dans ce cas, il faudrait rechercher avec attention les repères de différentes inondations observées dans la période de temps la plus considérable possible. Je suppose que cette période soit de 50 ans. Ces repères serviraient de point de départ à des nivellements qui seraient faits avec beaucoup d’exactitude suivant la pente de la rivière, modifiée de façon à rattacher à une seule et même ligne tous les repères correspondants à la même crue. On partagerait de cette manière tout le terrain compris depuis la rivière jusqu’à la limite la plus éloignée des