Page:Swift - Gulliver, traduction Desfontaines, 1832.djvu/133

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qu’il y avait quelque dessein sur le tapis, lorsque je remarquai mon maître et son ami parlant ensemble tout bas à l’oreille pendant un assez long temps, et quelquefois me regardant et me montrant au doigt.

Le lendemain au matin, Glumdalclitch, ma petite maîtresse, me confirma dans ma pensée, en me racontant toute l’affaire qu’elle avait apprise de sa mère. La pauvre fille me mit dans son sein, et versa beaucoup de larmes : elle appréhendait qu’il ne m’arrivât du mal, que je ne fusse froissé, estropié, et peut-être écrasé par des hommes grossiers et brutaux qui me manieraient rudement. Comme elle avait remarqué que j’étais modeste de mon naturel, et très-délicat dans tout ce qui regardait mon honneur, elle gémissait de me voir exposé pour de l’argent à la curiosité du plus bas peuple : elle disait que son papa et sa maman lui avaient promis que Grildrig serait tout à elle ; mais qu’elle voyait bien qu’on la voulait tromper, comme on avait fait, l’année dernière, quand on feignit de lui donner un agneau qui, quand il fut gras, fut vendu à un boucher. Quant à moi, je puis dire en vérité que j’eus moins de chagrin que ma petite maîtresse. J’avais conçu de grandes espérances, qui ne m’abandonnèrent jamais, que je recouvrerais un jour ma liberté ;