Page:Swift - Gulliver, traduction Desfontaines, 1832.djvu/152

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quence ; elles se déshabillaient sans façon et ôtaient même leur chemise en ma présence, sans prendre les précautions qu’exigent la bienséance et la pudeur. J’étais pendant ce temps-là placé sur leurs toilettes, vis-à-vis d’elles, et étais obligé, malgré moi, de les voir toutes nues. Je dis malgré moi, car en vérité cette vue ne me causait aucune tentation et pas le moindre plaisir. Leur peau me semblait rude, peu unie, et de différentes couleurs, avec des taches çà et là aussi larges qu’une assiette ; leurs longs cheveux pendants semblaient des paquets de ficelles : je ne dis rien touchant d’autres endroits de leurs corps ; d’où il faut conclure que la beauté des femmes, qui nous cause tant d’émotion, n’est qu’une chose imaginaire, puisque les femmes d’Europe ressembleraient à ces femmes dont je viens de parler si nos yeux étaient des microscopes. Je supplie le beau sexe de mon pays de ne me point savoir mauvais gré de cette observation. Il importe peu aux belles d’être laides pour des yeux perçants qui ne les verront jamais. Les philosophes savent bien ce qui en est ; mais, lorsqu’ils voient une beauté, ils voient comme tout le monde, et ne sont plus philosophes.

La reine, qui m’entretenait souvent de mes voyages sur mer, cherchait toutes les occasions