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ANCIENNE POLITIQUE DE LA RUSSIE. 123

une chose inconnue aux anciens Germains chaque commune était soumise à un seigneur qui pouvait vendre les cultivateurs en même temps que leurs champs, et au-dessus de tous ces seigneurs se trouvait le czar, seul véritable propriétaire du sol de l’empire.

Cet état de choses ne pouvait manquer d’influer sensiblement sur la vie politique de la Russie. Les basses classes du peuple, par suite de ces partages continuels, se trouvaient disséminées sur de vastes espaces la commune disposait à son gré des hommes qui avaient grandi dans son sein; elle les employait tantôt à cultiver les champs, tantôt à des métiers qui les éloignaient du pays natal, tantôt au service de Dieu ou du czar. Quoique le servage des paysans n’eût été constitué légalement que par le czar Boris et complété par Pierre le Grand, on ne trouvait depuis des siècles dans ce pays que dépendance et servitude, et cette situation avait tellement pénétré dans l’esprit du peuple, qu’un observateur allemand s’écriait en 1557, avec un profond étonnement <: Ce peuple préfère l’esclavage à la liberté j Ces mots, <[ le czar est moins que Dieu mais plus qu’un homme étaient devenus un dicton populaire. Les évêques et les popes enseignaient au peuple que le souverain était le représentant de Dieu, et qu’il se montrait clément ou sévère selon que ses sujets s’étaient rendus plus ou moins dignes des grâces du ciel. Du reste, un des traits caractéristiques de cet État, où, au-dessus de tant de petits despotes, s’en élevait un, supérieur à tous, c’est que le czar était considéré comme le protecteur des pauvres gens contre les magnats. Le tyran le plus sanguinaire qui ait peut-être jamais existé, Ivan IV, était célébré comme le père du peuple, et ce titre lui a été conservé jusqu’à nos jours par la tradition et par les chants populaires. Cette protection exercée à l’égard des pauvres ne fut pas, pour l’autorité toutepuissante du czar, un soutien moins solide que celle qu’il exerçait sur l’Église et sur la foi.

Au point de vue national, l’absence de propriétés foncières produisait les mêmes résultats que chez les anciens Germains et les Asiatiques nomades elle empêchait que le peuple ressentît aucun attachement réel pour le sol natal, jetait dans les masses l’amour du mouvement et un constant désir de change-