Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 2, 1748.djvu/231

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J’en voulois étouffer les chaleurs indiscrètes,
Mais puisque je vous vois oublier qui vous êtes,
Pour punir votre orgueil, c’est le moins que je puis
Que de vous faire ici souvenir qui je suis.
Certes, si sur l’espoir dont vous flatte la reine,
Vous tenez de mon cœur la conquête certaine,
Ce cœur né pour le trône est d’un rang bien abject,
S’il n’est qu’un prix sortable aux devoirs d’un sujet.
C’est le nom que je donne à ces exploits célèbres
Qui dérobent le vôtre à l’horreur des ténèbres,
Et qui sont trop payez lorsque le souvenir
S’en transmet par la gloire aux siècles à venir.
Outre qu’un bon sujet, qui n’agit et ne pense
Qu’à remplir ces devoirs où soumet la naissance,
Eut-il seul empêché la chute de l’État,
Si tôt qu’il s’en souvient n’est qu’un sujet ingrat,
Et qu’il seroit honteux d’attendre aucun salaire
Alors que l’on n’a fait que ce qu’on a dû faire.

NICANDRE.

Je vous entends, madame, et je vois clairement
Qu’il faut être né roi pour être votre amant.
Au moins si mon espoir est si peu légitime,
Ma mort saura bientôt en effacer le crime,
Et laisser par respect à l’un de mes rivaux
Le prix qu’acquiert un sceptre à ses heureux travaux.

ERIPHILE.

Dans un sceptre pour moi vous croyez trop de charmes,
Et si ces deux rivaux vous causent tant d’alarmes,
Pour vous désabuser, apprenez que mes voeux
Seront dans le combat plus pour vous que pour eux.

NICANDRE.

Se pourroit-il ?…

ERIPHILE.

Allez, cela vous doit suffire.
Suivez les sentiments que l’honneur vous inspire,
Et sachez qu’un grand cœur, s’il veut toucher le mien,
Doit mériter beaucoup, et ne demander rien.