Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 2, 1748.djvu/566

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Sur un appui si faux mon âme trop crédule
D’un chagrin inquiet rejeta le scrupule,
Et ne voulut pas voir que sous ce piège adroit
L’estime bien souvent va plus loin qu’on ne croit.
J’en fis l’épreuve, hélas ! Quand je me crûs capable
De rendre cette estime un peu moins favorable.
Vers un penchant si doux tout mon cœur emporté
Trouva dans sa foiblesse une nécessité ;
D’un feu qu’il devoit craindre il eut beau voir l’amorce,
Il voulut le combattre, et n’en eut pas la force,
Et vit bien que l’amour qu’il tâchoit d’étouffer,
Avant qu’il se déclare, est sûr de triompher.

LUCILE

Mais si d’Eucherius l’hommage a su vous plaire,
Vous devez à ses vœux vous rendre moins contraire.
Pourquoi fuir un hymen qui les peut couronner ?

PLACIDIE

Tu me connois, Lucile, et peux t’en étonner ?
Je t’en ai fait l’aveu, j’aime, et pour mon supplice
De l’erreur de mes sens mon cœur s’est fait complice,
Et n’a pu résister à ces charmes flatteurs
Qu’étalent à l’envi de si doux imposteurs ;
Mais celles de mon rang, de leurs désirs maîtresses,
Savent purger l’amour de ses moindres foiblesses,
Et dérober sa flamme aux douceurs de l’espoir
Quand il trahit leur gloire, ou blesse leur devoir.
Eucherius me plaît ; mais ce que je suis née
Dans un si vaste orgueil pousse ma destinée,
Qu’un trône seul offert à mes brûlants désirs
Me peut faire sans honte avouer ses soupirs.
Mais que dis-je ! Sur lui si j’obtins quelque empire,
Par son lâche conseil il cherche à s’en dédire,
Et j’ai crû bien en vain qu’il avoit mérité
Les dédains où pour lui j’excitois ma fierté.
Oui, s’il t’en faut montrer l’aveuglement extrême,
Je ne l’ai dédaigné que parce que je l’aime,