Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/538

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

S’il est jamais au Trône, il m’en donne sa foi,
L’empire est moins à lui qu’il ne doit être à moi ;
Et l’appui de mon bras, dont la valeur l’étonne,
Lui tiendra toujours lieu de plus d’une couronne.
Je m’embarque, & trouvant un malheur sans égal
À n’être plus en droit de haïr mon rival,
Confus, irrésolu, je prends diverses routes,
Je n’en choisis aucune, & les suis presque toutes,
Tant qu’enfin las d’errer, après mille dangers,
Je descends inconnu sur des bords étrangers.
Je n’y suis pas long-temps que l’on me fait entendre
Quel généreux parti Bradamante a sû prendre.
Son défi me console autant qu’il me surprend ;
Je céde plein de joie à l’espoir qu’il me rend,
Reviens soudain en France, & ma surprise augmente,
Quand je sai que Léon y combat Bradamante.
Je le croyois en Grece, où je l’avois laissé.

Marphise.

L’amour en ce combat est juge intéressé.
N’appréhendez-vous point qu’il ose la contraindre…

Roger.

Un amant bien touché peut-il aimer sans craindre ?
Bradamante vaincra, je connois sa valeur ;
Mais la voir exposée est toujours un malheur.
Léon est un guerrier, qui, fameux, redoutable,
Avant que de céder, sera de tout capable.
Son amour sans espoir, s’il ne triomphe pas,
En dépit de lui-même animera son bras.
Ce qui peut arriver me gêne, m’épouvante.
Hélas, s’il en coûtoit du sang à Bradamante !
Léon peut la blesser sans en être vainqueur.

Marphise.

Ah ! Craignez bien plutôt les blessures d’un cœur.
En faveur de Léon qui cherchoit à lui plaire,
Depuis un mois entier le combat se differe.