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TABLEAU DE LA FRANCE


continent, une grande pierre brute. De là, jusqu’à Lorient, et de Lorient à Quiberon et Carnac, sur toute la côte méridionale de la Bretagne, vous ne pouvez marcher un quart d’heure sans rencontrer quelques-uns de ces monuments informes qu’on appelle druidiques. Vous les voyez souvent de la route dans des landes couvertes de houx et de chardons. Ce sont de grosses pierres basses, dressées et souvent un peu arrondies par le haut ; ou bien, une table de pierre portant sur trois ou quatre pierres droites. Qu’on veuille y voir des autels, des tombeaux, ou de simples souvenirs de quelque événement, ces monuments ne sont rien moins qu’imposants, quoi qu’on ait dit. Mais l’impression en est triste, ils ont quelque chose de singulièrement rude et rebutant. On croit sentir dans ce premier essai de l’art une main déjà intelligente, mais aussi dure, aussi peu humaine que le roc qu’elle a façonné. Nulle inscription, nul signe, si ce n’est peut-être sous les pierres renversées de Loc Maria Ker, encore si peu distincts, qu’on est tenté de les prendre pour des accidents naturels. Si vous interrogez les gens du pays, ils répondront brièvement que ce sont les maisons des Korrigans, des Courils, petits hommes lascifs qui, le soir, barrent le chemin, et vous forcent de danser avec eux jusqu’à ce que vous en mouriez de fatigue. Ailleurs, ce sont les fées qui, descendant des montagnes en filant, ont apporté ces rocs dans leur tablier[1]. Ces pierres éparses sont toute une noce pétrifiée. Une pierre isolée, vers Morlaix, témoigne du malheur d’un paysan qui, pour avoir blasphémé, a été avalé par la lune[2].

  1. C’est la forme que la tradition prend dans l’Anjou. Transplantée dans les belles provinces de la Loire, elle revêt ainsi un caractère gracieux et toutefois grandiose dans sa naïveté.
  2. Cet astre est toujours redoutable aux populations celtiques. Ils lui disent pour en détourner la malfaisante influence : « Tu nous trouves bien, laisse-nous bien. » Quand elle se lève, ils se mettent à genoux, et disent un Pater et un Ave. Dans plusieurs lieux, ils l’appellent Notre-Dame. App., 5.