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TABLEAU DE LA FRANCE


poétique ne fut point la nature, mais l’amour : plus d’une jeune marchande, pensive dans le demi-jour de l’arrière-boutique, écrivit, comme Louise Labbé, comme Pernette Guillet, des vers pleins de tristesse et de passion, qui n’étaient pas pour leurs époux. L’amour de Dieu, il faut le dire, et le plus doux mysticisme, fut encore un caractère lyonnais. L’Église de Lyon fut fondée par l’homme du désir (Ποθεινὸς, saint Pothin). Et c’est à Lyon que, dans les derniers temps, saint Martin, l’homme du désir, établit son école[1]. Ballanche y est né[2]. L’auteur de l’Imitation, Jean Gerson, voulut y mourir[3].

C’est une chose bizarre et contradictoire en apparence que le mysticisme ait aimé à naître dans ces grandes cités industrielles, comme aujourd’hui Lyon et Strasbourg. Mais c’est que nulle part le cœur de l’homme n’a plus besoin du ciel. Là où toutes les voluptés grossières sont à portée, la nausée vient bientôt. La vie sédentaire aussi de l’artisan, assis à son métier, favorise cette fermentation intérieure de l’âme. L’ouvrier en soie, dans l’humide obscurité des rues de Lyon, le tisserand d’Artois et de Flandre, dans la cave où il vivait, se créèrent un monde, au défaut du monde, un paradis moral de doux songes et de visions ; en dédommagement de la nature qui leur manquait, ils se donnèrent Dieu. Aucune classe d’hommes n’alimenta de plus de victimes les bûchers du moyen âge. Les Vaudois d’Arras eurent leurs martyrs, comme ceux de Lyon. Ceux-

  1. Il était né à Amboise en 1743. – Il n’y a pas longtemps encore, on chantait l’office à Lyon, sans orgues, livres, ni instruments, comme au premier âge du christianisme.
  2. Ainsi que Ampêre, Degerando, Camille Jordan, de Sénancour. Leurs familles du moins sont lyonnaises.
  3. En 1429. – Saint Remi de Lyon soutint contre Jean Scot le parti de Gotteschalk et de la grâce. – Selon Du Boulay, c’est à Lyon que fut enseigné d’abord le dogme de l’Immaculée Conception. – Sous Louis XIII, un seul homme, Denis de Marquemont, fonda à Lyon quinze couvents.