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TABLEAU DE LA FRANCE.


France devient plus majestueuse. Elle ne veut pas arriver la tête basse en face de l’Angleterre ; elle se pare de forêts et de villes superbes, elle enfle ses rivières, elle projette en longues ondes de magnifiques plaines, et présente à sa rivale cette autre Angleterre de Flandre et de Normandie[1].

Il y a là une émulation immense. Les deux rivages se haïssent et se ressemblent. Des deux côtés, dureté, avidité, esprit sérieux et laborieux. La vieille Normandie regarde obliquement sa fille triomphante, qui lui sourit avec insolence du haut de son bord. Elles existent pourtant encore les tables où se lisent les noms des Normands qui conquirent l’Angleterre. La conquête n’est-elle pas le point d’où celle-ci a pris l’essor ? Tout ce qu’elle a d’art, à qui le doit-elle ? Existaient-ils avant la conquête, ces monuments dont elle est si fière ? Les merveilleuses cathédrales anglaises que sont-elles, sinon une imitation, une exagération de l’architecture normande ? Les hommes eux-mêmes et la race, combien se sont-ils modifiés par le mélange français ? L’esprit guerrier et chicaneur, étranger aux Anglo-Saxons, qui a fait de l’Angleterre, après la conquête, une nation d’hommes d’armes et de scribes, c’est là le pur esprit normand. Cette sève acerbe est la même des deux côtés du détroit. Caen, la ville de sapience, conserve le grand monument de la fiscalité anglo-normande, l’échiquier de Guillaume le Conquérant. La Normandie n’a rien à envier, les bonnes traditions s’y sont perpétuées. Le père de famille, au retour des champs, aime à expliquer à ses petits, attentifs, quelques articles du Code civil[2].

  1. Du côté de Coutances particulièrement, les figures et le paysage sont singulièrement anglais.
  2. « Voyez-vous ce petit champ ? me disait M. D., ex-président d’un des tribunaux de la basse Normandie ; si demain il passait à quatre frères, il serait à l’instant coupé par quatre haies. Tant il est nécessaire, ici, que les propriétés soient nettement séparées. » — Les Normands sont si adonnés aux études de l’éloquence, dit un auteur du XIe siècle, qu’on entend jusqu’aux petits enfants parler comme des orateurs…