Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/244

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sous prétexte d’affaires particulières, et lui prenant la main pour la baiser en signe de respect, lui toucha légèrement le pouls. Il fut deviné ; car Tibère, offensé peut-être et n’en cachant que mieux sa colère, fit recommencer le repas d’où l’on sortait, et le prolongea plus que de coutume, comme pour honorer le départ d’un ami. Le médecin assura toutefois à Macron que la vie s’éteignait, et que Tibère ne passerait pas deux jours. Aussitôt tout est en mouvement, des conférences se tiennent à la cour, on dépêche des courriers aux armées et aux généraux. Le dix-sept avant les calendes d’avril, Tibère eut une faiblesse, et l’on crut qu’il avait terminé ses destins. Déjà Caïus sortait, au milieu des félicitations, pour prendre possession de l’empire, lorsque tout à coup on annonce que la vue et la parole sont revenues au prince, et qu’il demande de la nourriture pour réparer son épuisement. Ce fut une consternation générale : on se disperse à la hâte ; chacun prend l’air de la tristesse ou de l’ignorance. Caïus était muet et interdit, comme tombé, d’une si haute espérance, à l’attente des dernières rigueurs. Macron, seul intrépide, fait étouffer le vieillard sous un amas de couvertures, et ordonne qu’on s’éloigne. Ainsi finit Tibère, dans la soixante-dix-huitième année de son âge.

Oraison funèbre

51

Il était fils de Tibérius Néro, et des deux côtés issu de la maison Claudia, quoique sa mère fût passée par adoption dans la famille des Livius, puis dans celle des Jules. II éprouva dès le berceau les caprices du sort. De l’exil, où l’avait entraîné la proscription de son père, il passa, comme beau-fils d’Auguste, dans la maison impériale. Là, de nombreux concurrents le désespérèrent, tant que dura la puissance de Marcellus, d’Agrippa, et ensuite des Césars Caïus et Lucius. Il eut même dans son frère Drusus un rival heureux de popularité. Mais sa situation ne fut jamais plus critique que lorsqu’il eut reçu Julie en mariage, forcé qu’il était de souffrir les prostitutions de sa femme ou d’en fuir le scandale. Revenu de Rhodes, il remplit douze ans le vide que la mort avait fait dans le palais du prince, et régla seul, près de vingt-trois autres années, les destins du peuple romain. Ses mœurs eurent aussi leurs époques diverses : honorable dans sa vie et sa réputation, tant qu’il fut homme privé ou qu’il commanda sous Auguste ; hypocrite et adroit à contrefaire la vertu, tant que Germanicus et Drusus virent le jour ; mêlé de bien et de mal jusqu’à la mort de sa mère ; monstre de cruauté, mais cachant ses débauches,