Page:Tailhade - Discours pour la paix.djvu/15

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la civilisation gréco-latine contre l’envahissement barbare, chaque jour plus féroce et plus nombreux, les meilleurs succombent dans la bataille sous le manteau de l’imperator à la tête des légions. Et c’est Marc Aurèle expirant sa grande âme chez les Quades, aux bords des glaces du Danube, Julien, frappé dans un engagement contre les Parthes, d’une flèche mortelle, pour la dernière fois attestant les dii consentes, âmes sublimes du Capitole, conscience et flambeau de la civilisation qui va mourir.


La nuit se fait bientôt. Une aurore de ténèbres obscurcit l’horizon. C’est le brouillard, le froid, l’hiver, une obscurité sanglante peuplée de monstres et de fantômes. Des larves rampent sur le sol. Accroupie au bord du chemin, la Sottise rabâche et déraisonne. Çà et là, des ombres équivoques s’entre-déchirent dans le chaos. Le moyen-Âge est proche, long carême de dix siècles où, sans volonté, sans ressort individuel, sans culture, l’homme ne trouve de forces que pour détruire et n’enfante que la stérilité. La joie a disparu, tout élan de ces peuples qui, d’une morose et lourde somnolence, ne s’éveillent que pour tuer. L’église n’y peut rien, même quand la Royauté naissante cherche à calmer les fureurs sauvages du monde féodal. Au début du xie siècle, l’empereur d’Allemagne Henri II, le roi Robert le Pieux se rencontrent dans un vallon des Ardennes, comme cinq cents ans plus tard, Henri Plantagenet et François de Valois dans le camp de Boulogne, sous les tentes de drap d’or. Ils font, à Mouzon, le premier essai de conférence pacifiste. Pasteurs d’hommes, ils se préoccupent de leurs ouailles autrement que pour les tondre ou les saigner. Ils s’efforcent d’amplifier les Trêves de Dieu ; ils rêvent d’accorder à leurs sujets les bienfaits du travail et de la liberté. Ils jettent dans le désert médiéval cette première semence de justice fraternelle, ce bon grain qui, malgré l’aridité du sol, malgré la rigueur des saisons, lentement à travers les âges, plus robuste que les héros de l’homicide et quoi que puissent objecter les théoriciens du carnage, fructifie et se développe, ce grain de sénevé qu’ont arrosé tant de larmes et de sang mais qui germe, grandit, s’accroît, devient un arbre immense, un arbre qui sous ses rameaux protecteurs, ses ombrages tutélaires, demain, abritera l’humanité.