Page:Tailhade - Discours pour la paix.djvu/31

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cadavres et de la pourriture avec des jeunes hommes, fils du peuple comme vous, pour anéantir des malheureux que vous ne connaissez point et contre lesquels vous ne sauriez avoir aucun grief.


Conscrits ! Les défenseurs de la bourgeoisie approuvent grandement cette culture. Selon ces docteurs, le paysan ne récolterait pas son blé, le maçon ne gâcherait pas son plâtre, si quelque milliers d’oisifs ne protégeaient ainsi les travaux par l’étude opiniâtre de l’assassinat.

Les peuples — il en est encore — soumis aux gouvernements théocratiques, font intervenir le surnaturel pour, d’un lien mystique, river la chaîne du soldat. De tout temps, d’ailleurs, prêtre et soudard firent bon ménage ensemble. Le Dieu des juifs, le dieu des chrétiens, le dieu de toutes les races qui ont le malheur de croire en Dieu, se nomme Sabaoth, Seigneur des armées. C’est lui qui propage les hécatombes, fait gicler le sang et tomber les têtes, pareilles à des épis mûrs. Simon de Montfort l’invoquait pour abolir l’Occitanie, et Louis XIV lui disait des prières en dévastant l’Europe. C’était le maître de Charles XII et d’Attila.

De nos jours, en plein soleil, malgré la science de quelques-uns et les lumières de presque tous, notre pieux allié Nicolas II, tsar allemand de la sainte Russie, impose à ses troupes le serment de défendre l’Empereur, le Saint-Synode et les institutions autocratiques. Si c’est un esprit ignorant ou faible, la sanction de l’Au-delà corrobore les pénalités que lui prodigueront ses chefs.

Toi, conscrit de France, l’on t’épargnera ces mômeries et tu n’auras pas le dégoût des incantations devant l’image du Crucifié. Ton aumônier lui-même, est beaucoup trop astucieux pour te couvrir d’un ridicule si outré. Non. La loi qu’on te proposera ne renferme pas le moindre élément mystique et les intrigues du chapelain commenceront un peu plus tard. On ne te fera pas jurer sur l’Évangile. On te demandera simplement de renier ta dignité virile, ta conscience, ta volonté, sans même colorer d’un prétexte cette ignominie et sans alléguer pour te corrompre les dogmes d’autrefois. On te lira un code qui n’a d’autre sanction que la mort, un code qui t’oblige à recevoir sans indi-