Page:Taine - Carnets de voyage, 1897.djvu/330

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siècles la poussière et la boue y fussent restées intactes, hérissées de petits cailloux blessants, semées de débris épars, de pêches rongées, d’épluchures ; les mouches volent par nuées et leur attouchement rend la peau fiévreuse. Des bouges ouvrent leur trou noirâtre, couvert d’un rideau déchiré ; on aperçoit un matelas, un homme couché, une femme parmi des tas d’oignons. Tout à côté tranche la bande éblouissante du soleil. Auprès d’une charrette de raisin, des gamins crasseux et déguenillés comme des lazzaroni, l’un d’eux, la face lépreuse de boutons, d’autres marqués de scrofules, fourrent leurs doigts dans les paniers. Sur un tronc d’arbre qui sert de banc, une petite fille de dix ans, jaune, aux yeux de charbon, reste couchée patiemment la tête dans le giron de sa mère, qui lui ôte la vermine.

Le principal hôtel est sur la plage. C’est une grande baraque du siècle dernier, lézardée, abandonnée, sale comme une posada espagnole ; l’escalier en fer tordu tourne en carré ses marches de briques disjointes ; les chambres sont un campement, tout vit pêle-mêle ; on