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LES MŒURS ET LES CARACTÈRES


à Paris, à Versailles et aux environs présentent un spectacle semblable. Jamais de solitude ; c’est l’usage en France, dit Horace Walpole, « de brûler jusqu’au lumignon sa chandelle en public ». L’hôtel de la duchesse de Gramont est assiégé dès le matin par les plus grands seigneurs et les plus grandes dames. Cinq fois par semaine, chez le duc de Choiseul, à dix heures du soir, le maître d’hôtel vient jeter un coup d’œil dans les salons, dans l’immense galerie pleine, et, au juger, fait mettre cinquante, soixante, quatre-vingts couverts[1] ; bientôt, sur cet exemple, toutes les riches maisons se font gloire de tenir table ouverte à tous venants. — Naturellement, les parvenus, les financiers qui achètent ou se donnent un nom de terre, tous ces traitants, et fils de traitants qui, depuis Law, frayent avec la noblesse, copient ses façons. Et je ne parle pas ici des Bouret, des Beaujon, des Saint-James, et autres bourreaux d’argent dont l’attirail efface celui des princes. Considérez un simple associé des fermes, M. d’Épinay, dont la femme modeste et fine se refuse à tant d’étalage[2]. Il vient de « compléter son domestique », et aurait voulu qu’elle prît une seconde femme de chambre ; mais elle a tenu bon ; pourtant, dans cette maison écourtée, « les officiers, les femmes et les valets se montent au nombre de seize… Lorsque M. d’Épinay est levé, son valet se met en devoir de l’accommoder. Deux laquais sont debout à attendre ses ordres. Le premier secrétaire

  1. E. et J. de Goncourt, ibid., 73, 75.
  2. Mme d’Épinay, Mémoires, éd. Boiteau, I, 306 (1751).