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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 1, 1909.djvu/232

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L’ANCIEN RÉGIME


ridicule à dire, s’élève au chiffre de 180 000 livres ». — « Une des manies les plus tranchées de ce temps-ci, dit Mme d’Oberkirch, est de se ruiner en tout et sur tout. » — « Les deux frères Villemur bâtissent des guinguettes de 500 000 à 600 000 livres ; l’un d’eux a 40 chevaux pour monter quelquefois à cheval au bois de Boulogne[1]. » En une nuit, M. de Chenonceaux, fils de M. et de Mme Dupin, perd au jeu 700 000 livres. « M. de Chenonceaux et M. de Francueil ont mangé 7 ou 8 millions d’alors[2]. » — « Le duc de Lauzun, à l’âge de 26 ans, après avoir mangé le fonds de 100 000 écus de rente, est poursuivi par ses créanciers pour près de 2 millions de dettes[3]. » — « M. le prince de Conti manque de pain et de bois, quoiqu’il ait 600 000 livres de rente » ; c’est qu’il « achète et fait bâtir follement de tous côtés[4]. » Où serait l’agrément, si l’on était raisonnable ? Qu’est-ce qu’un seigneur qui regarde au prix des choses ? Et comment atteindre à l’exquis, si l’on plaint l’argent ? — Il faut donc que l’argent coule, et coule à s’épuiser, d’abord par les innombrables saignées secrètes ou tolérées de tous les abus domestiques, puis en larges ruisseaux par les prodigalités du maître en bâtisses, en meubles, en toilettes, en hospitalité, en galanteries, en plaisirs. Le comte d’Artois, pour donner une fête à la reine, fait démolir, rebâtir, arranger et meubler Bagatelle de fond en comble par neuf cents ouvriers

  1. Marquis d’Argenson, 26 janvier 1753.
  2. George Sand, Histoire de ma vie, I. 78.
  3. Marie-Antoinette, par Arneth et Geffroy, I, 61 (18 mars 1777).
  4. Marquis d’Argenson, 26 janvier 1753.