Aller au contenu

Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 1, 1909.djvu/350

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
318
L’ANCIEN RÉGIME


Dans un livre qui est comme le testament philosophique du siècle[1], Condorcet déclare que cette méthode est « le dernier pas de la philosophie, celui qui a mis en quelque sorte une barrière éternelle entre le genre humain et les vieilles erreurs de son enfance ». — « En l’appliquant à la morale, à la politique, à l’économie politique, on est parvenu à suivre dans les sciences morales une marche presque aussi sûre que dans les sciences naturelles. C’est par elle qu’on a pu découvrir les droits de l’homme. » Comme en mathématiques, on les a déduits d’une seule définition primordiale, et cette définition, pareille aux premières vérités mathématiques, est un fait d’expérience journalière, constaté par tous, évident de soi. — L’école subsistera à travers la Révolution, à travers l’Empire, jusque pendant la Restauration[2], avec la tragédie dont elle est la sœur, avec l’esprit classique qui est leur père commun, puissance primitive et souveraine, aussi dangereuse qu’utile, aussi destructive que créatrice, aussi capable de propager l’erreur que la vérité, aussi étonnante par la rigidité de son code, par l’étroitesse de son joug, par l’uniformité de ses œuvres, que par la durée de son règne et par l’universalité de son ascendant.

  1. Condorcet, Esquisse d’un tableau historique de l’esprit humain, neuvième époque.
  2. Voir le Tableau historique présenté à l’Institut par M. J. Chénier en 1808. Son énumération montre que l’esprit classique dominait encore dans toutes les branches de la littérature. — Cabanis n’est mort qu’en 1818. Volney en 1820, Destutt de Tracy et Siéyès en 1836, Daunou en 1840. En 1845, MM. Saphary et Valette professaient encore la philosophie de Condillac dans deux lycées de Paris.