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L’ANCIEN RÉGIME


table, par ses voisins qu’il rencontre au comité ou à la vestry. Voilà comment les vieilles hiérarchies se maintiennent : il faut et il suffit qu’elles changent en cadre civil leur cadre militaire, et trouvent un emploi moderne au chef féodal.

II

Lorsqu’on remonte un peu plus haut dans notre histoire, on y rencontre çà et là de pareils nobles[1]. Tel était le duc de Saint-Simon, père de l’écrivain, vrai souverain dans son gouvernement de Blaye, respecté du roi lui-même. Tel fut le grand-père de Mirabeau, dans son château de Mirabeau en Provence, le plus hautain, le plus absolu, le plus intraitable des hommes, « exigeant que les officiers qu’il présente pour son régiment soient agréés du roi et des ministres », ne souffrant les inspecteurs de revue que pour la forme, mais héroïque, généreux, dévoué, distribuant la pension qu’on lui offre à six capitaines blessés sous ses ordres, s’entremettant pour les pauvres plaideurs de la montagne, chassant de sa terre les procureurs ambulants qui viennent y apporter leur chicane, « protecteur

  1. Saint-Simon, Mémoires, éd. Chéruel, t. I. — Lucas de Montigny, Mémoires de Mirabeau, t. I, de 53 à 182. — Le maréchal Marmont, Mémoires, I, 9, 11. — Chateaubriand, Mémoires, I, 17. — Comte de Montlosier, Mémoires, 2 vol. passim. — Mme de la Rochejaquelein, Souvenirs, passim. On trouvera dans ces passages des détails sur les types énergiques de l’ancienne noblesse. — Ils sont peints avec force et justesse dans deux romans de Balzac : Béatrix (le baron de Guénic) et le Cabinet des antiques (le marquis d’Esgrignon).