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LA STRUCTURE DE LA SOCIÉTÉ


ni durs ni même indifférents. Séparés par le rang, ils ne le sont point par la distance ; or le voisinage est à lui seul un lien entre les hommes. J’ai eu beau lire, je n’ai point trouvé en eux les tyrans ruraux que dépeignent les déclamateurs de la Révolution. Hautains avec le bourgeois, ils sont ordinairement bons avec le villageois. « Qu’on parcoure dans les provinces, dit un avocat contemporain, les terres habitées par les seigneurs ; entre cent, on en trouvera peut-être une ou deux où ils tyrannisent leurs sujets ; tous les autres y partagent patiemment la misère de leurs justiciables… Ils attendent les débiteurs, leur font des remises, leur procurent toute facilité pour payer. Ils adoucissent, ils tempèrent les poursuites parfois trop rigoureuses des fermiers, des régisseurs, des gens d’affaires[1]. » — Une Anglaise qui les voit en Provence au sortir de la Révolution dit que, détestés à Aix, ils sont très aimés sur leurs terres. « Tandis que devant les premiers bourgeois ils passent la tête haute, avec un air de dédain, ils saluent les paysans avec une courtoisie et une affabilité extrêmes. » Un d’eux distribue aux femmes, enfants, vieillards de son domaine de la laine et du chanvre pour filer pendant la mauvaise saison, et, à la fin de l’année, il donne un prix de cent livres aux deux meilleures pièces de toile. En nombre de cas, les

  1. Renauldon, ib., préface, 5. — Anne Plumptree, a Narrative of three years résidence in France from 1802 to 1805, II, 357. — Baronne d’Oberkirch, Mémoires, II, 389. — De l’état religieux, par les abbés de Bonnefoi et Bernard (1784), 295. — Mme Vigée-Lebrun, Souvenirs, 171.