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LE RÉGIME MODERNE


deux. Dans les autres pays de l’Europe, l’Église n’a pas subi la forme française, et les difficultés sont moindres ; aux États-Unis d’Amérique, non seulement elle n’a pas subi la forme française, mais l’État, libéral par principe, s’interdit les ingérences de l’État français, et les difficultés sont presque nulles. Manifestement, si l’on voulait atténuer ou prévenir le conflit, ce serait par la première ou la seconde de ces deux politiques. Mais, par institution et tradition, l’État français, toujours envahissant, est toujours tenté de prendre les voies contraires[1]. — Tantôt, comme pendant les dernières années de la Restauration et les premières années du second Empire, il fait alliance avec l’Église ; chacun des deux pouvoirs aide l’autre à dominer ; ensemble et de concert, ils entreprennent de diriger tout l’homme. En ce cas, les deux centralisations, l’une ecclésiastique,

  1. Son principal moyen d’action est le droit qu’il a de nommer les évêques. Mais c’est le pape qui les institue ; en conséquence, le ministre des cultes doit au préalable s’entendre avec le nonce, ce qui l’oblige à ne nommer que des candidats corrects pour la doctrine et les mœurs ; mais il évite de nommer des ecclésiastiques éminents, entreprenants, énergiques ; une fois institués, comme ils sont inamovibles, ils lui causeraient trop d’embarras. Tel, par exemple, Mgr Pie, évêque de Poitiers, nommé par M. de Falloux au temps du prince-président et si incommode pendant l’Empire ; il fallut, pour lui tenir tête, mettre à Poitiers le préfet le plus habile et le plus fin, M. Levert ; pendant plusieurs années, ce fut entre eux une guerre acharnée, sous des formes décentes ; chacun d’eux jouait à l’autre des tours très désagréables et très ingénieux. À la fin, M. Levert, qui venait de perdre sa fille, dénoncé en chaire et atteint dans la sensibilité de sa femme, fut obligé de quitter la place. (Ceci est à ma connaissance personnelle ; de 1852 à 1867, j’ai visité cinq fois Poitiers.) Aujourd’hui, les catholiques se plaignent de ce que le gouvernement ne nomme comme évêques et n’agrée comme curés de canton que des hommes médiocres.