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LA PROPAGATION DE LA DOCTRINE


Lorsque Voltaire arrive en Prusse, Frédéric II veut lui baiser la main, l’adule comme une maîtresse, et plus tard, après tant d’égratignures mutuelles, ne peut se passer de causer par lettres avec lui. Catherine II fait venir Diderot, et, tous les jours, pendant deux ou trois heures, joue avec lui le grand jeu de l’esprit. Gustave III, en France, est intime avec Marmontel, et reçoit comme un honneur insigne une visite de Rousseau[1]. On dit avec vérité de Voltaire qu’il a dans la main « son brelan de rois quatrième », Prusse, Suède, Danemark, Russie, sans compter les cartes secondaires, princes et princesses, grands-ducs et margraves qu’il tient dans son jeu. — Visiblement, dans ce monde, le premier rôle est aux écrivains ; on ne s’entretient que de leurs faits et gestes ; on ne se lasse pas de leur rendre hommage. « Ici, écrit Hume à Robertson[2], je ne me nourris que d’ambroisie, ne bois que du nectar, ne respire que de l’encens et ne marche que sur des fleurs. Tout homme que je rencontre, et encore plus toute femme, croirait manquer au plus indispensable des devoirs, si elle ne m’adressait un long et ingénieux discours à ma gloire. » Présenté à Versailles, le futur Louis XVI âgé de dix ans, le futur Louis XVIII âgé de huit ans et le futur Charles X âgé de quatre ans, lui récitent chacun un compliment sur son livre. — Je n’ai pas besoin de conter le retour de Voltaire, son triomphe, l’Académie

  1. Geffroy, Gustave III, I, 114.
  2. Villemain, Tableau de la littérature au dix-huitième siècle, IV, 409.


  anc. rég. ii.
T. II. — 9