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L’ANCIEN RÉGIME

V

De l’autel au trône la distance est courte, et pourtant l’opinion met trente ans à la franchir. Pendant la première moitié du siècle, il n’y a point encore de fronde politique ou sociale. L’ironie des Lettres persanes est aussi mesurée que délicate ; l’Esprit des Lois est conservateur. Quant à l’abbé de Saint-Pierre, on sourit de ses rêveries, et l’Académie le raye de sa liste lorsqu’il s’avise de blâmer Louis XIV. À la fin les économistes d’un côté et les parlementaires de l’autre donnent le signal. — « Vers 1750, dit Voltaire[1], la nation rassasiée de vers, de tragédies, de comédies, de romans, d’opéras, d’histoires romanesques, de réflexions morales plus romanesques encore, et de disputes sur la grâce et les convulsions, se mit à raisonner sur les blés. » D’où vient la cherté du pain ? Pourquoi le laboureur est-il si misérable ? Quelle est la matière et la limite de l’impôt ? Toute terre ne doit-elle pas payer, et une terre peut-elle payer au delà de son produit net ? Voilà les questions qui entrent dans les salons sous les auspices du roi, par l’organe de Quesnay, son médecin, « son penseur », fondateur d’un système qui agrandit le prince pour soulager le peuple, et qui multiplie les imposés pour alléger l’impôt. — En même temps, par la porte opposée, arrivent d’autres questions non moins

  1. Dictionnaire philosophique, article Blé. — L’ouvrage principal de Quesnay (Tableau économique) est de 1758.