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L’ANCIEN RÉGIME


« égale et douce bonté tous ceux qui leur sont présentés » ; chez le duc de Penthièvre les nobles mangent avec le maître de la maison, les roturiers dînent chez son premier gentilhomme et ne viennent au salon que pour le café. Là ils « trouvent en force et le ton haut » les autres qui ont eu l’honneur de manger avec Son Altesse et « qui ne manquent pas de saluer les arrivants « avec une complaisance pleine de protection[1] ». Cela suffit ; le duc a beau « pousser les attentions jusqu’à la recherche » ; Beugnot, si pliant, n’a nulle envie de revenir. — On leur garde rancune, non seulement des saluts trop courts qu’ils font, mais encore des révérences trop grandes qu’on leur fait. Chamfort conte avec aigreur que d’Alembert, au plus haut de sa réputation, étant chez Mme du Deffand avec le président Hénault et M. de Pont-de-Veyle, arrive un médecin nommé Fournier, qui en entrant dit à Mme du Deffand : « Madame, j’ai l’honneur de vous présenter mon très-humble respect » ; au président Hénault : « Monsieur, j’ai bien l’honneur de vous saluer » ; à M. de Pont-de-Veyle : « Monsieur, je suis votre très-humble serviteur », et à d’Alembert : « Bonjour, Monsieur[2] ». Quand le

  1. Beugnot, Mémoires, I, 77.
  2. Chamfort, 16. — « Qui le croirait ? Ce ne sont ni les impôts, ni les lettres de cachet, ni tous les autres abus de l’autorité, ce ne sont point les vexations des intendants et les longueurs ruineuses de la justice qui ont le plus irrité la nation : c’est le préjugé de la noblesse pour lequel elle a manifesté plus de haine. Ce qui le prouve évidemment, c’est que ce sont les bourgeois, les gens de lettres, les gens de finances, enfin tous ceux qui jalousaient la noblesse, qui ont soulevé contre elle le