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L’ANCIEN RÉGIME


du prince est le pire, car il est le plus énorme, et la dignité humaine, blessée par les prérogatives du noble, périt sous l’arbitraire du roi. Peu importe qu’il en use à peine, et que son gouvernement, docile à l’opinion publique, soit celui d’un père indécis et indulgent. Affranchi du despotisme réel, le Tiers s’indigne contre le despotisme possible, et il croirait être esclave s’il consentait à rester sujet. L’orgueil souffrant s’est redressé, s’est raidi, et, pour mieux assurer son droit, va revendiquer tous les droits. Il est si doux, si enivrant, pour l’homme qui, de toute antiquité, a subi des maîtres, de se mettre à leur place, de les mettre à sa place, de se dire qu’ils sont ses mandataires, de se croire membre du souverain, roi de France pour sa quote-part, seul auteur légitime de tout droit et de tout pouvoir ! — Conformément aux doctrines de Rousseau, les cahiers du Tiers déclarent à l’unanimité qu’il faut donner une constitution à la France ; elle n’en a pas, ou, du moins, celle qu’elle a n’est pas valable. Jusqu’ici « les conditions du pacte social étaient ignorées[1] » ; à présent qu’on les a découvertes, il faut les écrire. Il n’est pas vrai de dire, comme les nobles d’après Montesquieu, que la constitution existe, que ses grands traits ne doivent point être altérés, qu’il s’agit seulement de réformer les abus, que les États Généraux n’ont qu’un pouvoir limité, qu’ils sont incompétents pour substituer à la monarchie un autre régime. Tacitement ou expressément. Le Tiers refuse de restreindre son mandat, et, n’admet pas qu’on lui oppose des barrières. Par suite,

  1. Prudhomme, III, 2 (Tiers-état du Nivernais et passim). Cf. par contre les cahiers de la noblesse du Bugey et de la noblesse d’Alençon.