Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 2, 1910.djvu/297

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
279
LE PEUPLE


« annonce sans cesse que le pillage et la destruction qu’il fait sont conformes à la volonté du roi. » — Un peu plus tard, en Auvergne, les paysans qui brûlent les châteaux montreront « beaucoup de répugnance » à maltraiter ainsi « d’aussi bons seigneurs » ; mais ils allégueront que « l’ordre est impératif, ils ont des avis que Sa Majesté le veut ainsi[1] ». — À Lyon, quand les cabaretiers de la ville et les paysans des environs passent sur le corps des douaniers, ils sont bien convaincus que le roi a pour trois jours suspendu les droits d’entrée[2]. — Autant leur imagination est grande, autant leur vue est courte. « Du pain, plus de redevances, ni de taxes, » c’est le cri unique, le cri du besoin, et le besoin exaspéré fonce en avant comme un animal affolé. À bas l’accapareur ! Et les magasins sont forcés, les convois de grains arrêtés, les marchés pillés, les boulangers pendus, le pain taxé, en sorte qu’il n’arrive plus ou se cache. À bas l’octroi ! Et les barrières sont brisées, les commis assommés, l’argent manque aux villes pour les dépenses les plus urgentes. Au feu les registres d’impôt, les livres de comptes, les archives des municipalités, les chartriers des seigneurs, les parchemins des couvents, toutes ces écritures maudites qui font partout des débiteurs et des opprimés ! Et le village lui-même ne sait plus comment revendiquer ses communaux. — Contre le papier griffonné, contre les agents publics,

  1. Doniol, Histoire des classes rurales, 495 (Lettre du 3 août 1789 à M. de Clermont-Tonnerre).
  2. Archives nationales. H, 1453 (Lettre d’Imbert-Colomès, prévôt des marchands, du 5 juillet 1789).