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L’ANARCHIE SPONTANÉE


lieu[1]. Centre de la prostitution, du jeu, de l’oisiveté et des brochures, le Palais-Royal attire à lui toute cette population sans racines qui flotte dans une grande ville, et qui, n’ayant ni métier, ni ménage, ne vit que pour la curiosité ou pour le plaisir, habitués des cafés, coureurs de tripots, aventuriers et déclassés, enfants perdus on surnuméraires de la littérature, de l’art et du barreau, clercs de procureur, étudiants des écoles, badauds, flâneurs, étrangers et habitants d’hôtels garnis ; On dit que ceux-ci sont quarante mille à Paris. — Ils remplissent le jardin et les galeries ; « à peine y trouverait-on un seul membre de ce qu’on appelait les Six Corps[2] », un bourgeois établi et occupé, un homme à qui la pratique des affaires et le souci du ménage donnent du sérieux et du poids. Il n’y a point de place ici pour les abeilles industrieuses et rangées : c’est le rendez-vous des frelons politiques et littéraires. Ils s’y abattent des quatre coins de Paris, et leur essaim tumultueux, bourdonnant, couvre le sol comme une ruche répandue. « Toute la journée, écrit Arthur Young[3], il y a eu dix mille personnes au Palais-Royal », et la presse est telle, qu’une pomme jetée d’un balcon sur le pavé mouvant des têtes ne tomberait pas à terre. — On devine l’état de tous ces cerveaux ; ce sont les plus vides de lest qu’il y ait en France, les plus gonflés d’idées

  1. E. et J. de Goncourt, La société française pendant la Révolution. On y compte 31 maisons de jeu, et une brochure du temps est intitulée Pétition des 2100 filles du Palais-Royal.
  2. Montjoie, 2e partie, 144. — Bailly, II, 130.
  3. Arthur Young, 24 juin 1789. — Montjoie, 2e partie, 69.


  la révolution. i.
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