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LA RÉVOLUTION


des crayons, il est avéré qu’ils dressent des plans du pays pour les Espagnols et les Savoyards. Les quatre voitures des deux familles vont à Romans chercher des invités ; au lieu de quatre voitures, il y en a dix-neuf, et elles ramènent des aristocrates qui viennent se cacher dans les souterrains. M. de Senneville, cordon rouge, fait visite en revenant d’Alger ; c’est un cordon bleu, et ce cordon bleu est le comte d’Artois en personne. Conspiration évidente ; à cinq heures du matin, dix-huit communes, deux mille hommes en armes arrivent aux portes des deux maisons ; les cris, les menaces de mort durent pendant huit heures ; un coup de fusil tiré à quatre pas sur les suspects rate par accident ; un paysan qui les vise dit à son voisin : « Donne-moi une pièce de vingt-quatre sous, et je leur mettrai mes deux balles dans le corps. » Enfin, M. de Gilliers, qui était absent pour un baptême, revient avec les chasseurs royaux de Dauphiné, avec la garde nationale de Romans, et, grâce à leur aide, délivre sa famille. — C’est seulement dans les villes, dans quelques villes, et pour très peu de temps, qu’un noble inoffensif et attaqué trouve encore un peu de secours : les fantômes qu’on s’y forge sont moins grossiers ; des demi-lumières, un reste de bon sens, empêchent l’éclosion des contes trop absurdes. — Mais dans les ténèbres profondes des cervelles rustiques rien n’arrête la monomanie du soupçon. Le rêve y pullule, comme une mauvaise herbe dans un trou sombre ; il s’y enracine, il y végète jusqu’à devenir croyance, conviction, certitude ; il y pro-