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LA RÉVOLUTION


autre avis, et, le 23 août 1791, il imprime et affiche la liste de leurs noms et de leurs demeures, déclarant que, puisque « leurs opinions suspectes les ont engagés à quitter la campagne », ils sont « des émigrants dans l’intérieur » ; d’où il suit qu’il faut « surveiller scrupuleusement leur conduite », parce « qu’elle peut être l’effet de quelque trame dangereuse contre la patrie ». Quinze surtout sont signalés, entre autres le ci-devant curé de Saint-Loup, grand limier des aristocrates : toutes personnes très suspectes, ayant les plus mauvaises intentions ». — Ainsi dénoncés et désignés, on comprend qu’ils ne peuvent plus dormir tranquilles ; d’ailleurs, depuis que leurs adresses ont été publiées, ils sont menacés tout haut de visites et de violences à domicile. Quant aux administrations, il n’y a pas à compter sur leur entremise ; le département lui-même annonce au ministre qu’il ne peut, conformément à la loi, remettre le château aux troupes de ligne[1] ; ce serait, dit-il, soulever la garde nationale. « Comment d’ailleurs, sans force publique, arracher ce poste des mains qui s’en sont emparées ? La chose nous serait impossible avec les seuls moyens que nous donne la Constitution. » Ainsi, pour défendre les opprimés, la Constitution est une lettre morte. — C’est pourquoi les gentilshommes réfugiés, ne trouvant de protection qu’en eux-mêmes, entreprennent de se secourir les uns les

  1. Archives nationales, F7, 3200. Lettre du 26 septembre 1791. — Lettre trouvée sur un des gentilshommes arrêtés : « Une bourgeoisie sans courage, des directeurs dans les caves, une municipalité clubiste nous faisant la guerre la plus illégale. »