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LA CONSTITUTION APPLIQUÉE


prairies voisines, les gardes nationales se forment en bataille. Enfin on se décide : des braves, bien armés, montent dans des chaloupes, approchent avec précaution, épient l’endroit et le moment le plus favorable, s’élancent à l’abordage, s’emparent du navire, et sont tout étonnés de n’y trouver ni ennemis ni armes. — Néanmoins les prêtres sont consignés à bord, et leurs députés doivent comparaître devant le maire. Celui-ci, ancien huissier et bon jacobin, étant le plus effrayé, est le plus violent ; il refuse de valider les passeports, et, voyant deux prêtres approcher, l’un muni d’une canne à épée, l’autre d’un bâton ferré, il croit à une invasion soudaine. « En voici encore deux, s’écriait-il avec angoisse ; ils vont tous descendre ; messieurs, la ville est en danger. » — À ce mot, la foule s’alarme, menace les députés ; on crie : À la lanterne ! et, pour les sauver, des gardes nationaux sont obligés de les conduire en prison dans un cercle de baïonnettes. — Remarquez que ces furieux sont « au fond les meilleures gens du monde » ; après l’abordage, l’un des plus terribles, barbier de son état, voyant les barbes longues de ces pauvres prêtres, s’est radouci à l’instant, a tiré sa trousse, et, complaisamment, s’est mis à raser pendant plusieurs heures. En temps ordinaire, les ecclésiastiques ne recevraient que des saluts ; trois ans auparavant, ils étaient « respectés comme des pères et des guides ». Mais, en ce moment, le campagnard, l’homme du peuple, est hors de son assiette. Par force et contre nature, on a fait de lui un théologien, un poli-