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LA CONSTITUTION APPLIQUÉE


quante pieds et couvert d’arbustes, que surmontent un temple de la Concorde et une statue colossale de la Liberté ; on apporte les drapeaux sur les gradins du rocher, et une messe solennelle précède le serment civique. — À Paris, au milieu du Champ-de-Mars transformé en cirque colossal, s’élève l’autel de la Patrie ; alentour sont les troupes de ligne et les fédérations des départements ; en face est le roi sur un trône avec la reine et le dauphin, près de là les princes et les princesses dans une tribune, l’Assemblée nationale sur un amphithéâtre. Deux cents prêtres vêtus d’aubes avec des ceintures tricolores officient autour de l’évêque d’Autun ; trois cents tambours et douze cents musiciens jouent ensemble ; quarante pièces de canon tonnent d’un seul coup ; quatre cent mille vivats partent à la fois. Jamais on n’a tant fait pour enivrer tous les sens, pour faire vibrer la machine nerveuse au delà de ce qu’elle peut porter. — Au même degré et plus haut encore vibre la machine morale. Depuis plus d’un an, les harangues, les proclamations, les adresses, les journaux, les événements la montent tous les jours d’un ton. Cette fois, des milliers de discours, multipliés par des millions de gazettes, la tendent jusqu’à l’enthousiasme. De toutes parts, dans toute la France, la déclamation roule à gros bouillons dans un lit de rhétorique uniforme. En cet état d’excitation, on ne distingue plus l’emphase de la sincérité, le faux du vrai, la parole de l’action. La fédération devient un opéra que l’on joue sérieusement et dans la rue : on y enrôle des enfants,