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LA RÉVOLUTION


sont volés de tout leur argent à la frontière, et les autres, qui fuient à tout hasard, traqués comme des sangliers ou tirés comme des lièvres, doivent s’échapper, comme l’évêque de Barral, à travers les baïonnettes, ou, comme l’abbé Guillon, à travers les sabres, quand ils ne sont pas abattus, comme l’abbé Pescheur, à coups de fusil[1].

La nuit s’avance, les dossiers sont trop nombreux et trop gros, Roland voit que, sur quatre-vingt-trois, il n’en pourra guère feuilleter que cinquante ; il faut se hâter, et de l’Est ses yeux redescendent vers le Midi. — De ce côté aussi il y a d’étranges spectacles. Le 2 septembre, à Châlons-sur-Marne[2], M. Chanlaire, octogénaire et sourd, son paroissien sous le bras, revenait du Mail où tous les jours il allait dire ses heures. Des volontaires parisiens, qui le rencontrent, lui trouvent la mine d’un dévot, et lui ordonnent de crier Vive la liberté ! Lui, faute d’entendre, ne répond pas. Ils le prennent par les oreilles et, comme il ne marche pas assez vite, ils le traînent ; les vieilles oreilles se cassent, la vue du sang

  1. Albert Babeau, I, 515-517. — Guillon de Montléon, I, 120. À Lyon après le 10 août, les insermentés se cachaient ; la municipalité leur offre des passeports ; plusieurs, qui viennent en chercher, sont incarcérés ; d’autres reçoivent un passeport marqué d’un signe qui les fait reconnaître et provoque contre eux sur la route la fureur des volontaires. « La plupart des soldats faisaient retentir l’air des cris : À mort les rois et les prêtres ! » — Sauzay, III. ch. ix, et notamment 193 : « M. Pescheur longeait en courant la route de Belfort à Porentruy, lorsqu’un capitaine de volontaires, qui passait en voiture sur la même route avec d’autres officiers, apercevant le fuyard, demanda son fusil, visa M. Pescheur et le tua. »
  2. Histoire de Châlons-sur-Marne et de ses monuments, par L. Barbat, 420, 425.