Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 6, 1904.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
52
LA RÉVOLUTION


haineux avec leurs crocs[1], mais aussi les instincts immondes avec leur bave, et les deux meutes réunies s’acharnent sur les femmes que leur célébrité infâme ou glorieuse a mises en évidence, sur Mme de Lamballe, amie de la reine, sur la Desrues, veuve du fameux empoisonneur, sur une bouquetière du Palais-Royal qui, deux ans auparavant, dans un accès de jalousie, a mutilé son amant, un garde-française. Ici à la férocité s’adjoint la lubricité pour introduire la profanation dans la torture, et pour attenter à la vie par des attentats à la pudeur. Dans Mme de Lamballe tuée trop vite, les bouchers libidineux ne peuvent outrager qu’un cadavre ; mais pour la Desrues[2], surtout pour la bouquetière, ils retrouvent, avec les imaginations de Néron, le cadre de feu des Iroquois[3]. — De l’Iroquois au cannibale la distance est courte, et quelques-uns la franchissent. À l’Abbaye, un ancien soldat, nommé Damiens, enfonce son sabre dans le flanc de l’adjudant général de la Leu, plonge sa main dans l’ou-

  1. Maton de La Varenne, 154. Un homme du faubourg lui dit (Maton est avocat) : « Va, monsieur de la peau fine, je vas me régaler d’un verre de ton sang. »
  2. Rétif de la Bretonne, les Nuits de Paris, IXe nuit, 388 : « Elle poussait des cris horribles, pendant que les brigands s’amusaient à lui faire des indignités. Son corps n’en fut pas exempt après sa mort. Ces gens avaient ouï dire qu’elle avait été belle. «
  3. Prudhomme, les Révolutions de Paris, n° du 8 septembre 1792 : « Le peuple fit subir la peine du talion à la bouquetière du Palais-Royal. » — Granier de Cassagnac, II, 529 (d’après le bulletin du tribunal révolutionnaire, n° du 3 septembre). — Mortimer-Ternaux, III, 291. Déposition du concierge de la Conciergerie. — Buchez et Roux, XVII, 198. Histoire des hommes de proie, par Roch Marcandier.