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LA RÉVOLUTION


glante, son arbitraire est toujours celui d’un homme armé, qui, épaulant son fusil, couche en joue des passants qu’il vient d’arrêter sur la route ; ordinairement les passants se mettent à genoux, tendent leur bourse, et le coup ne part point. Néanmoins le coup est toujours prêt à partir, et, pour en être sûr, il n’y a qu’à regarder la main crispée qui tient la gâchette. Rappelons-nous cette population de malandrins qui pullulait sous l’ancien régime[1], le double cordon de contrebandiers, faux-sauniers et recéleurs, qui enserrait les douze cents lieues de douanes intérieures, les braconniers qui foisonnaient dans les quatre cents lieues de capitaineries gardées, les déserteurs, si nombreux, qu’en huit ans on en comptait soixante mille, les mendiants dont regorgeaient les maisons de force, les milliers de brigands et de vagabonds qui infestaient les grands chemins : c’est tout ce gibier de maréchaussée que la révolution a lâché et armé ; à son tour, le gibier est devenu le chasseur. Pendant trois ans, les rôdeurs aux bras forts ont fourni le noyau des jacqueries locales ; à présent ils forment le personnel de la jacquerie universelle. À Nîmes[2], le pouvoir exécutif a pour chef « un maître à danser ». Les deux principaux démagogues de Toulouse sont un cordonnier et un acteur qui au théâtre joue les valets[3]. À Toulon[4], le club,

  1. L’Ancien Régime, II, 284, 301, 302.
  2. Archives nationales, F7, 3217. Lettre de Castanet, ancien gendarme, 21 août 1792.
  3. Ib., F7, 3219. Lettre de M. Alquier au premier consul, 18 pluviôse, an VIII.
  4. Lauvergne, Histoire du Var, 104.