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LES GOUVERNANTS


« cordonnier une paire de bottes », ou vendront une tabatière, leur dernière ressource, pour acheter leur rogomme du matin[1]. — En cet état, on voit à plein et distinctement la canaille régnante ; séparée de ses adhérents contraints et des automates administratifs qui la servent, comme ils serviraient tout autre pouvoir, elle apparaît pure et sans mélange d’afflux neutres ; on reconnaît en elle le résidu permanent, la boue fixe et profonde de l’égout social. — C’est dans ce bas-fond d’ignorance et de vices que le gouvernement révolutionnaire va chercher ses états-majors et son personnel.

Impossible de les trouver ailleurs. Car la besogne quotidienne qu’on leur impose, et qu’ils doivent faire de leurs propres mains, est le vol et le meurtre ; sauf les purs fanatiques qui sont rares, les brutes et les drôles ont seuls de l’aptitude et du goût pour cet emploi. À Paris, comme en province, on va les prendre où ils sont, dans leurs rendez-vous, dans les clubs ou sociétés populaires. — Il y en a au moins une dans chaque section de Paris, en tout quarante-huit, ralliées autour du club central de la rue Saint-Honoré, quarante-huit ligues de quartier formées par les émeutiers et braillards de profession, par les réfractaires et les goujats de l’armée sociale, par tous les individus, hommes ou femmes[2],

  1. Dépositions de Grizel. Rossignol disait : « Il ne me reste qu’une tabatière, que voilà, pour exister. » — « Massard avait une paire de bottes qu’il ne pouvait retirer de chez le cordonnier, parce qu’il n’avait pas d’argent. »
  2. Archives nationales, F7, 31167 (Rapport de Rolin, 9 nivôse an II) : « Les femmes n’ont pas discontinué d’avoir voix délibéra-