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LA RÉVOLUTION


des soixante membres jure, en s’enrôlant, d’adopter les principes de Marat, de pratiquer la doctrine de Marat, et Goullin[1], l’un des fondateurs, demande à propos de chaque récipiendaire : « N’y en a-t-il pas encore un plus scélérat ? Car il nous faut des hommes de cette espèce pour mettre les aristocrates à la raison[2]. » Dès le 5 frimaire, « les Marats » se vantent d’avoir les bras « fatigués » à force de donner des coups de plat de sabre aux détenus, pour les faire marcher jusqu’à la Loire[3], et l’on voit que, malgré la fatigue, l’emploi leur agrée ; leurs officiers briguent auprès de Carrier pour être chargés de la noyade ; c’est qu’elle est lucrative. Au préalable, les hommes et les femmes qui vont mourir sont dépouillés, parfois jusqu’à la chemise et y compris la chemise ; ce serait dommage si des objets de valeur allaient au fond de l’eau, avec leur propriétaire ;

  1. Moniteur, XXII, 321 (Déposition de Phélippes-Tronjolly). — Berryat-Saint-Prix, la Justice révolutionnaire, 39.
  2. Campardon, Histoire du Tribunal révolutionnaire, II, 30. Ils ont 10 francs par jour, et de pleins pouvoirs leur sont conférés. — (Arrêté de Carrier et Francastel, 28 octobre 1793.) — « Les représentants… confèrent collectivement et individuellement à chaque membre de la compagnie révolutionnaire le droit de surveillance sur tous les autres citoyens suspects de Nantes, sur les étrangers qui y entrent ou y résident, sur les accapareurs de toute espèce,… le droit de faire des visites domiciliaires partout où ils le jugeront convenable… La force armée obéira partout aux réquisitions qui lui seront adressées, soit au nom de la compagnie, soit au nom individuel des membres qui la composent. »
  3. Berryat-Saint-Prix, 42. — Alfred Lallié, les Noyades de Nantes, 20 (Déposition de Gauthier). — Ib., 22. « F…, dit Carrier, c’est à Lambertye que je réservais cette exécution ; je suis fâché qu’elle ait été faite par d’autres. »