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LES GOUVERNÉS


il possédait des traditions, il devait des exemples. À ces deux titres, son autorité domestique était incontestée[1] : tous les siens suivaient sa direction, sans écarts ni résistance. Quand, par la vertu de cette discipline intérieure, une famille s’était maintenue droite et respectée dans le même lieu pendant un siècle, elle pouvait aisément monter d’un degré, introduire quelqu’un des siens dans la classe supérieure, passer de la charrue ou des métiers aux petits offices, des petits offices aux grands et aux dignités parlementaires, des quatre mille charges qui anoblissaient à la noblesse légale, de la noblesse récente à la noblesse ancienne. Sauf les deux ou trois mille frelons dorés qui picoraient le miel public de Versailles, sauf les parasites de cour et leurs valets, c’est ainsi que les trois ou quatre cent mille notables et demi-notables de France avaient acquis ou gardé leur place, leur considération et leur fortune ; partant ils en étaient les possesseurs légitimes. De père en fils, le paysan propriétaire, l’artisan maître s’était levé à quatre heures du matin, avait peiné de ses bras toute la journée, et n’avait pas bu. De père en fils, le fabricant, le négociant, le notaire, l’avocat, le propriétaire d’un office avait été soigneux, économe, expert,

  1. Rétif de la Bretonne, Vie de mon père (Autorité du père dans une famille de paysans en Bourgogne). Sur cet article, je prie chaque lecteur d’interroger les souvenirs de ses grands parents. — Pour la bourgeoisie, j’ai cité plus haut la famille de Beaumarchais. — Pour la noblesse, lire l’admirable lettre de Buffon du 22 juin 1787 (Correspondance de Buffon, 2 vol., publiée par M. Nadaud de Buffon), prescrivant à son fils la conduite qu’il doit tenir après le scandale donné par sa femme.