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LA RÉVOLUTION


disponible ; il faut ensuite que celui qui les a veuille les faire, partant qu’il n’y trouve pas désavantage et qu’il y trouve profit. — Si je suis ruiné ou demi-ruiné, si mes locataires et mes fermiers[1] ne me payent pas, si ma terre et mes marchandises ne valent plus sur le marché que moitié prix, si le demeurant de mon bien est menacé par la confiscation ou par le pillage, non seulement, ayant moins de valeurs, j’ai moins de valeurs disponibles, mais encore je m’inquiète de l’avenir ; par delà ma consommation prochaine, je pourvois à ma consommation lointaine ; j’accrois ma réserve, surtout en subsistances et en numéraire ; je garde pour moi et pour les miens tout ce qui me reste de valeurs, je n’en ai plus de disponibles, je ne peux plus prêter ni entreprendre. Et d’autre part, si le prêt ou l’entreprise, au lieu de me faire gagner, me fait perdre, si, aux risques ordinaires, l’impuissance ou l’injustice de la loi ajoute des risques extraordinaires, si mon œuvre, une fois faite, doit devenir la proie du gouvernement, des brigands et de qui voudra la prendre, si je suis tenu de livrer mes denrées ou mes marchandises pour la moitié du prix qu’elles me coûtent, si je ne puis produire, emmagasiner, transporter ou vendre qu’en renonçant à tout bénéfice et avec la certitude de ne point rentrer dans mes avances, je ne veux plus entreprendre, ni

  1. Saint-John de Crèvecœur, par Robert de Crèvecœur, 216 (Lettre de Mlle de Gouves, juillet 1800) : « Nous sommes en pourparler pour toucher au moins les arrérages échus depuis 1789 des biens d’Arras. » (M. de Gouves et ses sœurs n’avaient pas émigré, et néanmoins ils n’avaient rien touché depuis dix ans.)