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LES GOUVERNÉS


absent, on fait un Dieu[1] ». — « Si cela continue, disent des ouvriers, il faudra nous égorger les uns les autres, puisqu’il n’y a plus rien pour vivre[2]. » — « Des femmes malades[3], des enfants au berceau sont étendus dans la neige », au cœur même de Paris, rue Vivienne, sur le pont Royal, et restent ainsi « bien avant dans la nuit, pour demander l’aumône au passant… » — « On est arrêté à chaque pas par des mendiants de l’un ou l’autre sexe, la plupart sains et robustes » et qui, disent-ils, mendient, faute d’ouvrage. Sans compter les faibles et les infirmes qui ne peuvent affronter la queue, qu’on ne voit pas souffrir, qui meurent lentement et silencieusement à domicile, « on ne rencontre dans les rues, dans les marchés », que des figures d’affamés et d’affolés, « une foule immense de citoyens, courant, se précipitant les uns sur les autres », poussant des cris, répandant des larmes « et offrant partout l’image du désespoir[4] ».


V

Si la pénurie est telle, disent les Jacobins, c’est que les décrets contre l’accaparement et contre la vente au-dessus du maximum ne sont pas exécutés à la lettre ; c’est que l’égoïsme du cultivateur et la cupidité du mar-

  1. Dauban, 231 (Rapport de Perrière, 24 ventôse) : « Le beurre, dont on fait un Dieu. »
  2. Ib., 68 (Rapport du 2 ventôse).
  3. Archives nationales, F7, 31167 (Rapports du 28 nivôse). — Dauban, 144 (Rapports du 14 ventôse).
  4. Dauban, 81 (Rapport de Latour-Lamontagne, 4 ventôse).