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LA RÉVOLUTION


revient et le prix de vente, la différence est énorme ; elle va croissant à mesure que l’assignat baisse, et c’est le gouvernement qui la paye. « Vous donnez le pain à 3 sous, disait Dubois de Crancé, le 16 floréal an III[1], et il vous coûte 4 francs ; à 8000 quintaux de froment que Paris consomme chaque jour, cette seule dépense serait de 1200 millions par an. » Sept mois plus tard, quand le sac de farine coûte 13 000 francs, la même dépense s’élève à 546 millions par mois. — Sous l’ancien régime, Paris, quoique trop gros, demeurait un organe utile ; s’il absorbait beaucoup, il élaborait davantage ; sa production compensait, et au delà, sa consommation ; chaque année, au lieu de puiser dans le Trésor public, il y versait 77 millions. Le nouveau régime a fait de lui un chancre monstrueux appliqué sur le cœur de la France, un parasite dévorant qui, par ses six cent mille suçoirs, dessèche ses alentours sur quarante lieues de rayon, mange en un mois le revenu annuel de l’État, et reste maigre, malgré les sacrifices du Trésor qu’il épuise, malgré l’épuisement des provinces dont il se nourrit.

Toujours le même régime alimentaire, la queue dès l’aube et avant l’aube dans tous les quartiers de Paris, l’attente nocturne, prolongée, souvent frustrée, parmi

  1. Moniteur, XXIV, 397. — Schmidt, Tableaux de Paris (Rapports du 16 frimaire an IV) : « Les citoyens des départements se demandent avec étonnement par quels motifs Paris leur coûte 546 millions par mois pour le pain seulement, tandis qu’ils jeûnent. Cet isolement de Paris, à qui tous les bienfaits de la Révolution sont exclusivement réservés, fait le plus mauvais effet sur l’esprit public. » — Meissner, 345.