Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 8, 1904.djvu/49

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
45
LES GOUVERNANTS


son corps défendant, sauf à « solliciter sa démission » quand la terreur sera moindre, alléguant « qu’il écrit très mal, qu’il ne connaît en aucune manière les lois et ne peut les faire mettre en pratique », « qu’il n’a que ses bras pour vivre », « qu’il est chargé de famille, et obligé de conduire lui-même sa voiture » ou sa charrue, bref suppliant pour « qu’on le décharge de sa charge ». — Manifestement, ces enrôlés involontaires ne sont que des manœuvres ; s’ils traînent la charrette révolutionnaire, c’est à peu près comme leurs chevaux, par réquisition.

Au-dessus des petites communes, dans les gros villages qui ont un comité révolutionnaire et dans certains bourgs, les chevaux attelés font parfois semblant de tirer, mais ne tirent pas, de peur d’écraser quelqu’un. — En ce temps-là, une bourgade, surtout quand elle est isolée, située dans un pays perdu et sans routes, forme un petit monde clos, bien plus fermé qu’aujourd’hui, bien moins accessible au verbiage de Paris et aux impulsions du dehors ; l’opinion locale y est d’un poids prépondérant ; on s’y soutient entre voisins ; on aurait honte de dénoncer un brave homme que l’on connaît depuis vingt ans ; l’ascendant moral des honnêtes gens suffit provisoirement pour contenir « les gueux[1] ». Si le maire est répu-

  1. Souvenirs, par Hua, 178 à 205 : « Ce M. P…, maire de Crépy-au-Mont, savait contenir quelques mauvais gueux qui ne demandaient pas mieux que de révolutionner son village. Il était pourtant républicain… » — « Un jour, il me dit en parlant du régime révolutionnaire : « On dit toujours que ça ne tiendra pas ; en attendant, ça tient comme teigne… » — « Il y eut une assemblée générale des habitants de Coucy et de la banlieue,