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LA RÉVOLUTION


Paris les travailleurs de septembre ; le gouvernement révolutionnaire étant une septembrisade organisée, prolongée et permanente, la plupart de ses agents sont obligés de boire beaucoup[1].

    qu’il y avait d’exquis, et, dans cet état d’ivresse, ils s’assemblaient au tribunal et jugeaient à mort les prévenus. » — L’habitude de la vie large « et de la dépense excessive » est commune jusque parmi « les moindres employés du gouvernement ». — « Il m’est arrivé, dit Meissner (Voyage en France, fin de 1795, 371), de voir des charretiers du gouvernement se faire servir de la volaille, de la pâtisserie, du gibier, tandis qu’à la table des voyageurs il n’y avait qu’un vieux gigot de mouton et quelques méchants entremets. »

  1. Quelques-uns néanmoins n’ont pas le vin méchant et sont de simples ivrognes. En voici un que les textes nous ont conservé vivant et qui peut servir de spécimen. — Président de la Société populaire de Blois en mars 1793, puis délégué pour les visites domiciliaires, et, pendant toute la Terreur, l’un des principaux personnages de la ville, du district et même du département (Dufort de Cheverny, Mémoires manuscrits, 21 mars 1793 et juin 1793) ; c’est un certain Velu, vagabond de naissance, jadis enfermé et élevé à l’hôpital, puis cordonnier ou savetier, ensuite maître d’école au faubourg de Vienne, enfin harangueur au club et faiseur de motions tyrannicides, petit, gros, aussi rouge de trogne que de bonnet. — En juin 1793, chargé de visiter le château de Cheverny, pour vérifier si tous les papiers féodaux ont été livrés, il arrive à l’improviste, rencontre le régisseur Bimbenet, entre chez le maire, aubergiste, s’y rafraîchit copieusement, ce qui donne à Bimbenet le temps d’avertir M. Dufort de Cheverny et de faire disparaître les registres suspects. — Cela fait, « on achemine Velu vers le château, en lui faisant quitter la bouteille. — Il avait pour manie d’être à la hauteur : il tutoyait et voulait qu’on le tutoyât ; il mettait la main sur la poitrine, vous prenant l’autre, et vous disait : « Bonjour, frère. » — Il arrive donc à 9 heures du matin, s’avance, me prend la main, et me dit : Bonjour, frère, comment te portes-tu ? — À merveille, citoyen, et vous ? — Tu ne me tutoies pas ? Tu n’es pas dans le sens de la Révolution ? — Nous parlerons de cela ; voulez-vous venir dans le salon ? — Oui, frère, je te suis. » — Nous entrons, il voit ma femme, qui, par sa tenue, a, j’ose le dire, un