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LA RÉVOLUTION


révolutionnaires « se payent de leurs propres mains[1] » ; ensuite, à leur salaire légal de 3 francs, 5 francs par jour et par membre, ils ajoutent à peu près ce que bon leur semble, car ce sont eux qui perçoivent les taxes extraordinaires, et souvent, comme à Montbrison, « sans rôles ni registres des recouvrements ». Le 16 frimaire an II, le comité des finances annonçait que « le recouvrement et l’emploi des taxes extraordinaires étaient inconnus au gouvernement, qu’il était impossible de les surveiller, que la Trésorerie nationale n’avait reçu aucune somme provenant de ces taxes[2] ». Deux ans

    deux membres de la municipalité ayant voulu manger à l’office.) — Je lui réponds : « Frère, cela ne leur conviendrait pas plus qu’à moi : consulte-les. » — Il mangea peu, but comme un ogre, fut causant, nous conta ses amours ; il s’échauffa, frisa la polissonnerie à faire trembler ma femme, sans cependant s’en permettre aucune. À propos de la Révolution et du danger que nous courions, il nous dit naïvement : « Est-ce que je n’en cours pas autant, moi ? J’ai dans l’opinion que, dans trois mois, j’aurai le cou coupé ; mais il faut prendre son parti. » — De temps en temps, il lâchait des saillies de sans-culottisme ; il prit la main du domestique qui lui donnait des assiettes : « Je t’en prie, frère, lui dit-il, mets-toi à ma place, et que je te serve à mon tour. » — On lui fait boire des liqueurs, et enfin il s’en va, se louant de cette réception, disant qu’il en a eu une pareille chez M. et Mme de Rancogne, et les approuvant beaucoup de manger avec leurs gens, à la même table. — Il retourne au cabaret, et n’en sort qu’à neuf heures du soir, « rond comme une bedaine », mais point ivre, « Il ne tenait pas à une bouteille de vin, il aurait vidé un tonneau, sans qu’il y parût. »

  1. Moniteur, XXII, 425 (séance du 13 brumaire an III). Cambon : « J’observe à l’assemblée que les comités révolutionnaires n’ont jamais été payés. » — Un membre : « Ils se sont payés de leurs propres mains. » — (Oui, oui. — On applaudit). »
  2. Ib., 711 (Rapport de Cambon, 6 frimaire an III). — Effectivement, Cambon disait déjà, le 26 frimaire an II, à propos de ces taxes (Moniteur, XVIII, 680) : « Pas un avis, pas un sou n’est en-