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LES GOUVERNANTS


qu’un pareil trafic ; ce serait merveille s’il ne s’établissait pas. Tout homme riche ou aisé, c’est-à-dire tout homme ayant des chances pour être imposé, emprisonné et guillotiné, consent de bon cœur à « composer[1] », à se racheter, lui et les siens. S’il est prudent, il paye, avant la taxe, pour n’être point taxé trop haut ; il paye, après la taxe, pour obtenir une diminution ou des délais ; il paye pour être admis ou maintenu dans la Société populaire. Quand le danger se rapproche, il paye pour obtenir ou faire renouveler son certificat de civisme, pour ne pas être déclaré suspect, pour ne pas être dénoncé comme conspirateur. Quand il a été dénoncé, il paye pour être détenu chez lui plutôt que dans la maison d’arrêt, pour être détenu dans la maison d’arrêt plutôt que dans la prison commune, pour ne pas être traité trop durement dans la prison commune, pour avoir le temps de rassembler ses pièces justificatives, pour faire mettre et maintenir son dossier au-dessous de tous les autres dans les cartons du greffe, pour ne pas être inscrit dans la prochaine fournée du tribunal révolutionnaire. Il n’y a pas une de ces faveurs qui ne soit précieuse : partant, des rançons innombrables sont incessamment offertes, et les fripons, qui pullulent dans les comités révolutionnaires[2], n’ont qu’à ouvrir leurs

  1. Mallet du Pan, Mémoires, II, 51.
  2. Moniteur, XXII, 754 (Rapport de Grégoire, 24 frimaire an III}. « La friponnerie : ce mot rappelle les anciens comités révolutionnaires, dont la plupart étaient l’écume de la société, et qui ont montré tant d’aptitude pour le double métier de voler et de persécuter. »