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LES GOUVERNANTS


riste[1], beaucoup de gens hors la loi sont rentrés à Bordeaux en payant ; dans le nombre de ceux qui ont ainsi racheté leur vie, il en est qui ne méritaient pas de la perdre, et qui cependant ont été menacés du supplice s’ils ne consentaient pas à tout. Mais il est difficile d’obtenir des preuves matérielles ; ces hommes aujourd’hui gardent le silence, craignant, par des dénonciations franches, de s’associer à la peine de ces marchands de justice et ne voulant pas exposer (de nouveau) la vie qu’ils ont sauvée. » Bref, la poule plumée se tait, pour ne pas attirer sur elle l’attention et le couteau ; d’autant plus que ceux qui la plument tiennent en main le couteau, et pourraient bien, si elle criait, l’expédier au plus vite. Même quand elle n’a pas crié, ils l’expédient quelquefois, pour étouffer d’avance ses cris possibles. Cela est arrivé au duc du Châtelet et à d’autres. Il n’y a qu’un moyen sûr de se préserver[2] : c’est de solder ses patrons « par aliquotes

  1. Archives nationales, AF, II, 46 (Lettre de Jullien au Comité de Salut public, Bordeaux, 12 thermidor an II). — Moniteur XXII, 713 (Rapport de Cambon, 6 frimaire an III). À Vervins, des citoyens furent emprisonnés, puis mis en liberté, « moyennant rétribution ». — Albert Babeau, II, 164, 165, 206. « La citoyenne Deguerrois étant venue solliciter l’élargissement de son mari, un fonctionnaire public ne craignit point de lui demander 10 000 livres, qu’il réduisit à 6000, pour lui faire obtenir ce qu’elle désirait. » — « Une pièce atteste que Massey paya 2000 livres, et la veuve Delaporte 600 livres, pour sortir de prison. »
  2. Mallet du Pan, (Première lettre à un négociant de Gènes, 1er mars 1796), 33 à 35. « Un des prodiges de la Terreur, c’est l’inattention avec laquelle on a observé le commerce de vie et de mort qui a signalé les solennités du terrorisme… À peine trouve-t-on un mot sur les innombrables marchés par lesquels