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LA RÉVOLUTION


on peut payer un château en revendant les grilles du parc et le plomb de la toiture. — C’est ici qu’il y a de beaux coups à faire, et d’abord sur les objets de luxe et d’art. « La seule nomenclature[1] de ces objets enlevés, détruits ou dégradés formerait plusieurs volumes. » D’une part, les commissaires aux inventaires et aux adjudications, « ayant des deniers à pomper sur le produit des ventes », mettent en vente tout ce qu’ils peuvent, « évitent de réserver » les objets d’utilité publique, et livrent aux enchères les collections ou bibliothèques pour toucher leur tant pour cent. D’autre part, presque tous ces commissaires sont des revendeurs ou des fripiers qui, seuls en état d’apprécier les choses rares, les déprécient tout haut, pour les racheter en cachette, et « s’assurent ainsi des bénéfices exorbitants ». En certains cas, les gardiens en titre et les acheteurs en expectative ont pris la précaution de « dénaturer » les objets précieux « pour les faire acheter à vil prix par leurs prête-noms et leurs complices » : par exemple, on dépareille les livres, on démonte les machines : le tube d’un télescope se trouve séparé de son objectif, et les fripons concertés savent réunir ces pièces qu’ils ont acquises séparément, à bon marché. « Sur les antiques, les bijoux, les médailles, les émaux, les pierres gravées », souvent, en dépit des scellés, ils ont fait leur main d’avance ; rien de plus aisé, puisque, « à Paris

    Bourdon de l’Oise, 6 mai 1795 : « Tel cultivateur a payé une ferme de 5000 francs avec la vente d’un seul cheval. »

  1. Moniteur, XXII, 82 (Rapport de Grégoire, 14 fructidor an II). — Ib., 775 (Rapport de Grégoire, 24 frimaire an III).