Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/384

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puis je laisse aller l’huis vert de toute ma force, pour lui faire accroire que je m’en allois : cela réussit. Elle sort ; je la happe, et coetera. Cette bizarrerie me le fit trouver trois fois meilleur. Comme cette femme n’étoit pas naturellement dévergondée, et que ce n’étoit que la force de la passion qui l’emportoit, elle ne se put jamais résoudre à me donner un rendez-vous : il la falloit toujours culbuter, mais pour l’ordinaire il n’y avoit jamais que la première pinte de chère, et pour une après- dînée elle m’en laissa tant prendre… que j’en eus la sciatique bien forte, car c’étoit toujours à recommencer. On ne pouvoit pas bien prendre ses mesures, et se cacher de sa femme, mais je n’en ai jamais vu une si désintéressée ; elle ne voulut pas seulement prendre des gants quand je revins d’Italie.

Elle devint insensiblement si jalouse qu’elle l’étoit de toutes les femmes que je voyois, mais bien plus de madame d’Harambure que de pas une autre : elle a toujours eu plus de jalousie de celles que je n’aimois pas que de celles que j’aimois ; car elle n’en eut pas le quart autant de madame du Candal ni de mademoiselle des Marais, dont nous parlerons ailleurs.

Cependant je m’enflammai pour cette autre veuve (1), car la première me grondoit trop.

[(1) Madame du Candal.]

Chez sa mère, on avoit un peu plus de liberté. Un jour que nous y faisions collation, elle nous donna des abricots, et nous conta que, croyant en avoir fait de bien plus beaux que sa mère, elle mit sur les siens : Abricots de ma façon. Par malheur, ses abricots se candirent, et ceux de sa mère se conservèrent fort bien : elle en changea un beau matin toutes les couvertures, et dit : « Regardez comme les miens se sont bien conservés. » Or, elle avoit une fille qui n’étoit guère jolie. « Ma foi, ce lui dis-je, madame, votre bonne maman vous surpasse bien autant en filles qu’en abricots : vous êtes une belle ouvrière au prix d’elle ! »

Une fois, je trouvai bien du crachottis auprès de son feu. « Jésus ! lui dis-je, qu’est-ce que cela  ? — Hélas ! dit-elle, c’est