Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/125

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Luynes, qu’il savoit faire l’or. Des Hagens lui donna dix mille écus qu’il lui avoit demandés pour cela. Crullembourg se met en équipage, loue une maison à la Place-Royale, croyant que s’il se faisoit valoir il en tireroit encore bien d’autres. M. des Hagens ne donna pourtant point son argent sans en parler à M. d’Ornano, alors gouverneur de Monsieur, et qui depuis fut maréchal de France, car il lui communiquoit tous ses desseins. D’Ornano, qui connoissoit Migon, lui conseilla de le mettre avec Crullembourg comme témoin et comme participant de tout ce qu’il entreprendroit. Voilà donc Migon avec Crullembourg. Il n’y fut pas plus tôt qu’il pense à Lisette, qu’il croyoit princesse, et dont il avoit grande compassion : il la loge avec lui en intention de lui faire avoir si bonne part à l’or qu’on feroit, qu’elle auroit de quoi se marier selon sa naissance. M. de Chaudebonne, qui connoissoit fort Migon, mena un soir cette fille chez madame la marquise de Rambouillet, sa bonne amie, qui alors logeoit à la Place-Royale, pendant qu’elle faisoit bâtir l’hôtel de Rambouillet. Elle n’avoit rien d’extraordinaire en son habillement, hors qu’elle avoit un chapeau avec des plumes. Dès que madame de Rambouillet la vit, elle la reconnut, et lui dit qu’elle l’avoit vue ailleurs. « Ah ! répondit-elle, madame, c’est cette malheureuse Lisette qui m’a perdue d’honneur. Elle étoit fille de ma nourrice et ma sœur de lait. » Madame de Rambouillet lui fit toutes les objections qu’on lui pouvoit faire, et entre autres, que si le feu Roi se l’eût fait porter pour la voir, comme elle disoit, que cela se seroit su, et que les rois ne pouvoient rien faire sans témoins.